Ce matin-là, Aoi s’était réveillé en pleurs. Il avait rêvé cette nuit de son ancienne famille comme il l’appelle, de ses parents qui étaient partis et qui n’étaient jamais revenus, de cet instant où il se trouvait dans l’atelier de son père lorsqu’il fit le vœu de disparaître. Il avait rêvé également de ses grands-parents qui eux, restés sur Terre, pleuraient le départ du petit garçon. Alors, quand il sortit de son lit, Aoi se regarda dans le miroir de la salle de bain et essuya ses larmes à l’aide de ses petites mains. Je suis un grand garçon maintenant, je ne dois plus pleurer. Comme pour se motiver, chaque jour il parlait à son propre reflet, ignorant totalement qu’on puisse l’écouter, que ce soit chez lui ou dans la rue.

Le blondinet prépara son petit sac d’aventurier, dedans il y avait un sandwich fourré et une bouteille d’eau fraîche, suffisant pour la matinée. Il prit son petit-déjeuner en compagnie d’un chat qui s’était introduit dans sa cuisine et à qui il offrit du lait. Aoi était maintenant heureux de ne plus se sentir seul, chaque jour on venait le voir pour prendre de ses nouvelles ou lui donner des provisions pour la semaine. Il était donc bien entouré, même s’il regrettait par moment les bons plats de sa maman. Avant de partir, il se regarda de nouveau dans le miroir pour y afficher un grand sourire. Voilà, c’est beaucoup mieux comme ça ! Puis il partit, prenant bien le soin de fermer la porte derrière lui et bien sûr sans oublier son déjeuner.

Aoi empruntait toujours le même chemin. D’abord il passait par la place publique, puis il se baladait sur la place du marché, ensuite il rendait visite aux enfants de l’orphelinat et enfin il montait sur les toits. Il y allait rarement en pleine journée, souvent c’était le matin avant midi, ou bien le soir pour admirer les étoiles. Le petit garçon s’assurait toujours de ne pas faire trop de bruit quand il était tard, histoire de ne pas attirer l’attention et ne pas se retrouver dans des situations délicates. Mais il avait l’habitude maintenant, de voir des choses arriver dans les ruelles la nuit, ou même le jour d’ailleurs.

Pour parvenir au sommet des maisons, il n’avait pas besoin d’y entrer ni même d’emprunter des échelles, son pouvoir était amplement suffisant, il devait juste faire attention à ne pas heurter un volet ou pire encore, un chat. Lorsqu’il grimpait, il s’arrêtait parfois à des fenêtres, non pas par curiosité – un peu quand même – mais parce qu’on l’interpellait. Souvent, c’était la même grand-mère qui l’arrêtait pour lui offrir des petits gâteaux et du lait et lui, il restait pour discuter de tout et de rien, il l’aidait même à effectuer certaines tâches que la vieille dame ne pouvait plus accomplir seule. En bref, il venait surtout lui tenir compagnie car elle lui rappelait beaucoup sa grand-mère sur Terre.

Cette fois pourtant, Aoi ne fit pas de pause, il avait juste envie de se dépenser. Un pied par-ci, un pied par-là, comme à son habitude il sautillait joyeusement sur les toits, prenant de grosses bouffées d’air à chacun de ses pas. Il voulut faire la course contre un chat mais il était trop rapide pour lui malheureusement. Bon, j’abandonne. De tout en haut, il admirait les gens en bas et avec ses doigts il faisait mine de les soulever et de les déplacer comme des pions. Même seul, Aoi s’amusait beaucoup et trouvait toujours de quoi s’occuper, sinon il avait juste à courir et cela comblait sa journée.

Depuis son arrivée sur Lux, personne n’avait donné de l’attention à Aoi et ses escapades dangereuses pour son âge et sa petite taille. Il était donc à la fois triste et content. Triste parce que personne ne le remarquait, content parce que du coup il pouvait faire tout ce qui lui plaisait.

« C’est dangereux de courir sur les toits, tu risques de tomber. »

Aoi s’arrêta et tenta de trouver d’où provenait cette voix. Il vit un jeune homme avec un t-shirt blanc et un pantalon noir, les mains près de sa bouche comme pour faire un mégaphone. Le petit garçon trouvait ça rigolo et se contenta donc de sourire au monsieur. Il n’avait pas peur des toits car c’était bien le seul endroit qui le rapprochait assez des étoiles, et Aoi aimait les étoiles. Il continua de courir et de sauter.

« Je dis ça pour ton bien, j’ai pas envie qu’il t’arrive du mal ou quelque chose comme ça. »

Le blondinet s’arrêta de nouveau pour fixer le drôle de monsieur aux cheveux bruns et bouclés. Il comprenait très bien ce qu’il lui disait, mais pour une raison inconnue, il ne voulait pas l’écouter.

« Si c’est difficile de descendre je peux monter t’aider. »

L’homme, qui avait visiblement ennuyé les autres clients de l’auberge se tenait maintenant debout, prêt à escalader pour sauver le petit garçon. Mais le sauver de quoi ? Aoi n’était pas en danger bien au contraire, les toits lui procuraient une sensation de sécurité contrairement aux ruelles sombres car ils étaient toujours éclairés.

Aoi prit finalement une pause pour déjeuner. Son casse-croûte était davantage appétissant après avoir dépensé autant d’énergie. Il ouvrit son sac, en sortit le sandwich préparé avec soin ce matin ainsi que sa bouteille d’eau encore fraîche. Il but quelques gorgées avant de se tourner vers le monsieur de l’auberge qui le fixait toujours, presque sans cligner des yeux.

« C’est bon je fais une pause, vous pouvez vous reposer vous aussi ! »

Il était toujours souriant et poli avec les adultes comme lui avait appris sa maman. A la maison c’était elle qui lui disait comment se comporter en société, car elle ne souhaitait que le bonheur pour son fils, la réussite dans son avenir. Maintenant c’était à lui de se débrouiller, sans ses parents pour le guider, ni même sans frère et sœur pour le soutenir.

Aoi dévorait son sandwich tandis que le monsieur de l’auberge continuait de parler. Il l’écoutait et secouait la tête de temps à autre pour acquiescer, buvant de grandes gorgées d’eau fraîche à chaque pause marquée par le jeune homme.

« C’est pas facile d’être tranquille quand on se sent un peu responsable. Moi une fois j'avais essayé de monter sur un toit, je m’étais cassé le poignet alors je t’avoue que ça me fait un peu peur. »

Le blondinet se souvenait aussi de ses premières chutes. Sur Terre, il grimpait dans les arbres du jardin et avait manqué une branche à cause d’une araignée. Ces insectes là, brrr, il les détestait, et ça lui avait coûté une fracture au bras. Il y avait une autre fois où il était monté sur le toit de la maison pour réparer l’antenne de télévision avec son papa. Son pied avait alors glissé sur une tuile et son corps suivit le mouvement, mais heureusement que son père était là pour le retenir de tomber d’aussi haut. Enfin, il secoua de nouveau la tête pour montrer à son interlocuteur qu’il le suivait toujours. Celui-ci souriait, il semblait avoir de bons souvenirs en tête.

« Mais on dirait qu'il n’y a que moi qui aie peur, tu as l’air vraiment à l’aise. Enfin parfois faut faire gaffe même comme ça. Tu es seul ? Je n’ai vu personne d’autre sur le toit. Peut-être que si un de tes potes Fougueux t’accompagnait, ce serait plus sécuritaire, et même plus amusant. Tu devrais peut-être penser à les inviter à faire ça avec toi. »

Aoi manqua de s’étouffer avec son eau. Il avait vraiment dit fougueux ? Le petit garçon réfléchit quelques secondes, il était vrai qu’à son arrivée le cercle de la Fougue l’avait approché et semblait intéressé par son agilité et habileté, mais il avait préféré à ce moment rejoindre les confectionneurs pour garder un lien avec sa vie d’avant. Depuis peu, il se questionnait beaucoup sur son avenir à Lux. Désirait-il toujours être un confectionneur ? Ou était-il temps de rejoindre les fougueux ? Il voulut boire encore mais sa bouteille était maintenant vide, un regard triste, il se tourna vers le jeune homme.

« Au fait ça fait combien de temps que tu es à Lux ? Tout se passe bien pour toi ici ? »

Il avait soif. Mais plus d’eau fraîche dans son sac, il soupira puis se racla la gorge.

« Je préfère être seul, je n’ai pas d’amis qui sachent grimper comme moi. Et je ne sais plus exactement, je ne compte plus les années depuis mes 8 ans... »

Il ne voulait pas vraiment parler de ça, c’était encore beaucoup trop douloureux pour lui. Son anniversaire, ses parents, le tsunami. Aoi préférait oublier.

« Oui tout se passe bien pour moi, j’ai un bon entourage qui s’occupe de moi ! Je vis dans un petit appartement près de mon QG et chaque jour on vient prendre de mes nouvelles et puis on m’apporte des provisions. Et les chats ici sont très gentils, j’aime jouer avec eux ! »

Ce n’était pas faux, mais au fond le petit garçon avait l’impression de mentir. En quittant la Terre, il avait fait le vœu de disparaître, mais c’était pour se retrouver avec ses parents, pas pour vivre dans un monde où il resterait pour toujours un enfant. Il s’assit sur le bord du toit pour se rapprocher de son interlocuteur, tenant la gouttière avec ses mains collantes.

« Et vous monsieur ? Qu’est-ce que vous faîtes ici ? »

Aoi était encore jeune mais il aimait bien discuter avec des plus grands et apprendre. Celui-là, il semblait plutôt sympa, alors Aoi avait envie de le connaître.

Posé au bord du toit, il balançait ses pieds dans le vide tout en écoutant le monsieur se présenter. Ce dernier avait un chat du nom de Fafo, Aoi sourit, il avait hâte de le rencontrer ! Enfin pour ça, il faudrait croiser la route du jeune homme à nouveau et comme le blondinet passait la plupart de son temps sur les toits où au Nid, ce n’était pas gagné. Peut-être que cela le pousserait à sortir un peu plus et faire connaissance avec d’autres habitants de Lux. Ou peut-être pas.

Avec la soif qu’il ne pouvait étancher, Aoi sentait son corps se déshydrater petit à petit, même en ne faisant aucun mouvement. Le soleil tapait de plus en plus fort et il n’y avait pas de vent frais, puis l’ombre des cheminées disparaissait lentement, le lieu devenait donc inconfortable. Il essayait tout de même de rester attentif à ce que lui racontait son interlocuteur, qui semblait très sympathique et attaché à cette auberge. Un musicien en plus ? Trop cool, pensa-t-il.

« En vérité je crois que je dérange beaucoup les autres clients a parler fort d’ici. Peut être qu'on devrait trouver un point ou se regrouper pour discuter tranquillement ? »

Le petit garçon leva la tête, les yeux brillant de bonheur. OUI ! Il avait envie de crier. C’était un soulagement, il allait changer de place, pouvoir se mettre à l’ombre, boire quelque chose. Ne voulant pas paraître irrespectueux, il n’avait pas osé interrompre le jeune homme et l’avait donc laissé parler même si intérieurement la chaleur le faisait souffrir. Un regard vers le monsieur bouclé, Aoi se releva vivement et prit son sac.

« J’arrive ! »

Il activa son pouvoir et descendit du bâtiment en se collant au mur. Ce n’était pas la meilleure solution mais c’était la seule qui s’offrait à lui. Et puis, en bas, il trouverait bien de quoi reprendre des forces. Arrivé à terre, il se dirigea vers la terrasse où se trouvait le musicien et lui tendit la main, histoire de se présenter convenablement.

« Je m’appelle Aoi, et vous ? »