Difficile de s’adapter à cette nouvelle vie.

Si cela ne dépendait que de lui, il n’aurait pas demandé de seconde chance. Yuri ignorait totalement pourquoi les étoiles lui avaient fait cette faveur et il n’avait aucun moyen de leur demandé. Si ça avait été le cas… La conversation aurait été houleuse. Même si, avec le temps, il avait fini par s’assagir, par s’adapter doucement à son nouvel environnement, il n’en restait pas moins tiraillé par des questions essentielles ; pourquoi moi, pourquoi maintenant… Pourquoi, simplement. Toutefois, ces questionnements restaient sans réponse et il était inutile de se prendre plus la tête que nécessaire.

Parfois, il arrivait bien à se faire à tout ça. Avoir rejoins le cercle du savoir était plaisant, même s’il était le premier étonné par son choix. A la bibliothèque, il avait l’impression d’être un sacré ovni… Puisqu’il n’avait pas la même motivation que tout le monde. Ou, du moins, il ne pensait pas l’avoir. Il concentrait ses études sur le fonctionnement de Lux, son histoire, ses évolutions. Il n’avait pas réellement le choix, lui qui avait grandi dans les nouvelles technologies. Ici, plus de portable, plus de PC, plus de jeux vidéo… Plus de musique. Enfin, si, mais pas comme il l’aimait. Autant dire que ça lui avait fait un coup au moral et qu’il s’était bêtement dit qu’il pourrait apporter sa pierre à l’édifice, aider dans ce développement d’une culture dépassée à ses yeux.

Et pourtant, il avait plutôt bien réussi sa manœuvre d’adaptation. S’il mettait de côté ses instants de profondes dépressions, il s’était surpris à apprécier une certaine routine qui s’installait peu à peu. Pour ramener un peu de fric dans son maigre portefeuille, il avait trouvé un job de courtier. D’après ce qu’il avait compris, c’était les robots qui se chargeaient de cette tâche, avant qu’il en fasse la demande. De toute manière, étant donné qu’il vivait encore dans son premier appart, il avait cru comprendre qu’il ne pouvait prétendre à un emploi plus important… Et franchement, il n’en éprouvait pas spécialement l’envie. Ce petit boulot était pratique, puisqu’il lui permettait de découvrir la ville. Une façon comme une autre de le forcer à quitter de temps en temps la bibliothèque, plutôt que d’y rester constamment enfermé.

Généralement, il n’avait pas trop de voyage à faire. Jouer les navettes avait quelque chose de gratifiant, s’il pouvait dire. Cela lui permettait de découvrir de nouvelles personnes, de nouveaux travaux. De mieux comprendre comment ce monde fonctionne. Même si cela faisait déjà deux ans qu’il vivait ici, il y avait encore beaucoup de part d’ombre, à ses yeux. S’obliger à prendre contact avec les autres ne pouvait lui être que bénéfique ; la solitude, ça ne lui réussissait vraiment pas. Aujourd’hui, il avait déjà fait plusieurs livraisons et il arrivait enfin sur sa fin de tournée, avec la fierté d’une journée de travail accomplie. Ça lui manquait, cette sensation, n’étant absolument pas habitué, de par son ancienne vie, à être inactif aussi longtemps. Il ne lui restait plus qu’une adresse pour finir.

Il trainait un peu, il devait avouer. Un peu par flemmardise, un peu parce qu’il n’avait pas spécialement envie de retourner chez lui, après ça. Il était de bonne humeur et il n’avait pas, non plus, envie de s’enfermer avec des bouquins à la bibliothèque. C’était intéressant, ce qu’il y apprenait, mais… Il n’avait pas la tête à lire. Une mélodie de son adolescence lui trottait dans la tête et il ne parvenait pas à chasser l’envie de l’exprimer avec une guitare, notamment. Cependant, il n’avait pas touché l’instrument depuis sa disparition et il ignorait s’il était capable de se remettre du traumatisme subi. Hum. C’était pour ça, qu’il ne voulait pas partir dans des réflexions en se retrouvant seul. Il avait cette fâcheuse tendance à se lancer dans des débats mentaux à n’en pas finir qui finissaient toujours par ternir son humeur.

Bref.

Il était arrivé à destination, restant debout débilement devant la porte, perdu dans ses pensées. Il récupéra le colis dans sa sacoche, remarquant qu’il s’agissait sans doute d’un dossier important. S’il en croyait l’expéditeur, c’était une maison d’édition… Alors il devait être chez l’écrivain, sans doute. Il eut envie de jeter un rapide coup d’œil aux documents mais il se ravisa rapidement, ne souhaitant pas être remercier parce que sa curiosité était mal placée. Il finit par toquer, ne faisant pas attention à la personne qui ouvrait la porte, s’attendant à une femme, du coup.

« J’ai un paquet pour… Arwen »

Apprends à lire, crétin. Arwen, c’est dans le Seigneur des Anneaux.

   

Il était de bonne humeur, à la base.
A la base.

L’accueil auquel il fit face le fit arquer un sourcil. En effet, il avait un peu écorché le nom du client. Cependant, étant donné que lui-même n’avait pas une grande estime de son prénom originel, il ne comprenait pas ce besoin de rectifier à ce point une petite erreur de prononciation. D’autant plus que la menace sur son emploi… Elle ne passait pas. Vraiment pas. S’il avait un léger sourire poli au début, ce dernier avait rapidement disparu derrière un faciès plus fermé. Neutre serait mentir ; il désaprouvait totalement cette façon de lui causer. Il avait été, souvent, pris de haut dans sa vie passée, ce n’était certainement pas pour se laisser faire dans celle-là.

Mais il était face à un dilemme : il était en tort. Sa passion pour le fantastique avait pris le dessus et, de toute évidence, la référence au Seigneur des Anneaux n’avait pas été comprise. Il pourrait s’expliquer, cependant… Autant dire que l’estime qu’il avait du type en face de lui était au plus bas. Son éducation lui intimait de s’excuser platement pour avoir manqué de vigilance, dans sa lecture. Son caractère rebelle lui disait de l’envoyer balader. Il n’était plus au Japon, rien ne l’obligeait à respecter une culture qui l’agaçait dans sa généralité. Cela ne voulait pas dire, néanmoins, qu’il parvenait aisément à laisser de côté une vie d’éducation nippone. Au final, il ne dit rien, se contentant de faire comprendre qu’il n’avait pas apprécié, une mine renfrognée en seul signe de réponse.

Toutefois, ses traits se détendirent à l’entende des excuses. C’était… Inattendu. Pour lui. Certes, le blond n’avait pas apprécié, mais ce n’était pas non plus à ce Arwel de s’excuser. En fait, il ne comprenait pas pourquoi. L’incompréhension dansa quelques secondes sur son faciès, ayant un peu de mal à comprendre le fonctionnement des occidentaux, bien qu’il devait avouer qu’il appréciait davantage ce comportement que celui de lui cracher amèrement à la gueule.

« C’est… Pas grave. Désolé pour le nom. »

A demi-vrai, comme excuse. En réalité, une part de lui, celle qui jouait souvent la carte de la provocation, avait l’irrésistible envie de continuer à l’appeler Arwen. Juste pour l’emmerder. Mais est-ce qu’il était réellement prêt à jeter de l’huile sur le feu, juste pour un plaisir mal placé ? Il y réfléchissait. L’idée de mettre en danger son emploi ne lui plaisait que moyennement ; même s’il s’agissait d’un travail peu valorisant, il avait le mérite de lui occuper l’esprit, de faire rentrer un peu d’argent tout en lui permettant de visiter la ville dans son ensemble, allant dans des quartiers auxquels il n’aurait jamais pensé.

Sa surprise fut d’autant plus grande, quand il fut invité à entrer dans l’appartement. Pour que l’autre s’excuse de son animosité à son égard. Pour le japonais qu’il était, c’était inconcevable. C’était déjà rare d’inviter chez soi des amis, étant donné qu’il était plus facile de se rejoindre et de manger à l’extérieur. Mais inviter chez soi un parfait inconnu, un petit livreur qui se la joue provoc, en prime ? Autant dire qu’il se sentait d’autant plus décontenancé. C’était peut-être idiot, comme réflexion. Lui qui aimerait se défaire de son éducation, il était toutefois complètement à la ramasse, réagissant plus à l’instinct qu’à l’envie. Etant donné que le type s’était décalé pour le laisser entrer, il s’était exécuté, mais ce n’était pas pour autant qu’il se sentait à son aise. Cette impression d’empiéter sur l’intimité de quelqu’un lui laissait un mauvais sentiment. Il essaya de ne pas trop faire paraitre son trouble, tendant le paquet qu’il était venu livrer, à la base.

Son regard s’attarda sur le type, puisque la gêne ressentit l’empêcher de fixer bêtement l’intérieur de l’appart. De toute évidence, il ne s’attendait pas à de la visite, en vue de sa dégaine. Les cernes sont ses yeux lui laissaient croire que ça devait faire un long moment qu’il n’avait pas passé une bonne nuit de sommeil. Mais, surtout, il avait l’impression d’avoir déjà vu son visage auparavant, sans parvenir à savoir où ils auraient pu se rencontrer.

« On… On s’est déjà vu, non ? »

Il essayait de mettre de côté l’agacement qu’il avait ressenti à son accueil. Il pouvait se montrer bêtement rancunier, mais étant donné que les excuses n’avaient pas tardées à suivre, sans qu’il ne les demande en plus… Il était peut-être préférable, pour lui et son emploi, de se montrer plus sympathique.

Même s’il avait toujours l’impression de ne pas être à sa place ici.