Tu regardes tout autour de toi. Des corps se déhanchant sur de la musique produite par un groupe de Créatifs. C’est entièrement différent de la musique que tu écoutais sur Terre. Sur certains aspects, c’était même mieux. Sur Terre, tout était robotisé. Un DJ envoyait de la musique, de l’électro, produite sur ordinateur, et c’était tout. Tu n’avais jamais été une grande fan d’électro. Ironique de la part d’une jeune fille qui dansait en boîte plusieurs soirs par semaine. Tu aimais plus l’idée de te déhancher au milieu d’une foule enivrée, des paires d’yeux rivés sur toi, que la musique. Ici, la musique était dansante, la voix de la chanteuse agréable. Il n’y a pas une amplification du son électronique comme sur Terre, et cela donne à chaque fois une ambiance un peu différente. Les salles sont toujours relativement petites pour que le son ne se perde pas, et quand un groupe populaire se représente, on est toujours assez serré. Mais ça ne te dérange pas, Dolly. Tu aimes la foule.
Enfin, tu aimes la foule, mais tu finis par te fatiguer et te déshydrater. Alors tu te fends un chemin à travers la foule, salues certaines personnes que tu connais -des Roublards principalement, dont certains dérobaient visiblement des portefeuilles-, pour finalement arriver au bar. Tu demandes un verre d’eau et un temps de réflexion quant à l’alcool que tu désirais ingérer. Tu tournes la tête et aperçois un verre à l’allure intéressante. Tu lèves les yeux vers le barman ; ah oui, tu le connais de vue. C’est un Créatif. Pas étonnant que ses créations soient aussi intéressantes visuellement. Tu paries qu’elles sont probablement excellentes aussi. Un sentiment de nostalgie t’envahit ; du regret peut-être ? Tu aurais pu être une Créative, toi aussi. Tu aurais pu être reconnue pour tes créations. Mais Le Roi des Thunes avait lu en toi. Il avait vu la méfiance que tu accordais aux gens, et les Créatifs ressemblaient drôlement aux gens que tu fréquentais sur Terre. Il avait vu que tu te méfiais d’eux. Il a su trouver les mots. Il a su mettre l’accent sur la confiance et la solidarité entre les Roublards. Et il avait raison. Tu ne peux pas dire que tu leur fais confiance ; tu ne fais confiance à personne pour être honnête. Surtout quand il s’agit de criminels et de délinquants. Mais il n’y a pas de faux-semblant entre eux ; s’il y a un conflit, ils le règleront. Et surtout, les Roublards se protègent entre eux. On ne blesse pas un autre Roublard. Des bagarres entre Roublards existent, certes, mais on s’en remet toujours. Le Roi des Thunes ne tolère pas que l’on s’en prenne aux membres de son cercle. Vous êtes une famille, en un peu plus fonctionnel. Si l’un d’entre vous brise les règles, il sera jugé. Si l’un d’entre eux -les autres, ceux qui ont eu un peu plus de chance que vous- s’en prenne à l’un d’entre vous, des représailles sont à craindre. On n’abandonne pas un frère ou une sœur roublard.
Tout ça pour dire. Le cocktail. Joli cocktail. Une main s’en empare, et la porte à ses lèvres. Un jeune homme, un peu près ton âge. Enfin, de ton âge, tout est relatif. Tu ne sais que trop bien à quel point tout est relatif ici. À ton arrivée, tu as eu du mal à croire que Bichette, ce petit être fragile aux airs innocents avait cinquante ans de plus que toi. Ton cerveau a toujours un peu de mal à saisir cette nuance par ailleurs. Tout comme tu as du mal à accepter de voir des enfants dans ce bar, à boire de l’alcool et à se déhancher comme pas permis. Tu dois te rappeler à l’ordre pour éviter de leur dire de rentrer chez eux. Ton regard détaille le visage du jeune homme au cocktail. Pour une raison étrange, tu es presque certaine qu’il est bien plus vieux que son âge physique. Il est mignon.
« Qu’est-ce que tu bois ? Ça a l'air d'être un chef d'oeuvre. », tu demandes. Tu prendrais bien la même chose.
Une vague impression de déjà-vu, mais tu n’arrives pas à savoir ni où, ni pourquoi.

La musique enivre la pièce, une voix féminine recouvre le brouhaha des corps qui se resserre et se délaisse. Juché sur son tabouret accoudé au bar, Cyrus regarde avec nostalgie cette marrée humaine. La même ambiance dansante que dans les bars de sa vie d'avant, qu'il n'a au final que très peu arpenté. Son ainé de frère en revanche se donnait pour mission de l'embarquer à chaque fois dans des lieux du même acabit, le sourire aux lèvres, comme pour l'amadouer. Souvenir souvenir. Le tintement de verre retentit près de lui. Dans un regard, il vient découvrir sa boisson, posé là par le barman. Un barman attirant qui plus est. Leurs regards se sont déjà accrochés auparavant.. toutefois, le brun se refuse toutes attirances réciproques. N'est ce pas plus simple les coups d'une soirée sans attente ? Bien sûr. Jamais ils ne restent, car ils savent que ça ne se renouvelleras pas. Ce qui n'est malheureusement pas le cas avec les autres. Ils insisteront. Cyrus est un loup solitaire, pas un chien en laisse. Oui, c'est ce qu'il pense pour au fond, se rassurer de son incapacité profonde à s'engager avec qui que ce soit. Ses lèvres se pose délicatement sur la verrerie, avalant quelques gorgée. Parfait. Cocktail aussi magnifique que bon, l'alcool vient réchauffer sa gorge. Finalement, il va peut-être changer d'avis, qui sait.. Une voix vient le sortir de ses pensées. À ses côtés, une jeune femme au physique atypique. Plus grand chose l'étonne Cyrus, si ce n'est les arrivées du siècle actuel. Toujours si différents des normes qu'il connaît, hors des limites que les bons gens de son époque c'était fixé ; c'est certains qu'ils seraient effarés s'il la voyait. C'est fascinant. Il estime qu'elle vient probablement de cette période ; mais son drôle d'accoutrement excentrique la met en valeur. Légèrement, le jeune homme vient se pencher vers elle, le cocktail toujours en main. "Sweet boy, qu'il l'a appelé", répond t'il, désignant d'un mouvement de tête le Créatif occupé à servir des enfants de l'autre bout du bar. Il réalise un peu maladroitement en le disant à haute voix qu'il s'agit là d'une tentative de drague assez amusante et imaginative. "Demande lui une boisson à ton image. Je pari qu'elle sera colorée", qu'il lui indique, un sourire en coin ornant son visage. Le sien est d'un bleu aquatique, se dégradant vers un noir abyssal. Aucun doute que son cocktail sera un spectacle de couleurs, à son image. Ce n'est pas atypique.. Pas atypique.. Une gorgée. Coup d'œil. Hm, il lui semble avoir déjà croisé une personne avec le même maquillage il y a peut de temps. Quoique ça version du temps est un peu erronés, certes. Cyrus n'aime pas cette sensation d'avoir la réponse à porter, sans réussir à mettre les mots dessus. Ses doigts pianotent sur le bar, tandis qu'il tente de remettre une situation sur cette personne. La brune de son cerveau le ralentit. Soudain, un flash : un bar, du maquillage, un porte-feuille. Haaa oui, c'est elle.. Il en a mis du temps. Cyrus vient tremper une dernière fois ses lèvres dans son verre, avant de laisser échapper d'une voix neutre : "Comment tu t'en sors depuis la dernière fois, miss portefeuille ?" Sans animosité aucune dans la voix. Il faut dire que ça a fait sa journée quand elle a voulu le draguer.

Il se penche vers toi et murmure le nom de son cocktail. Sweet boy. Tu souris et souffle du nez, amusée. Un nom intéressant. Tu n'es pas sûre de vouloir absolument le même cocktail, du tout. Tu n'aurais pas envie de te mettre entre ce qui semble être une belle histoire d'amour. D'un soir plutôt. Enfin, d'une tentative quoi. Il est mignon, mais pas vraiment ton genre.

Mais vraiment, son visage te dit quelque chose.

Tu hausses les épaules et esquisses un sourire. Colorée, peut-être, mais le goût serait probablement très amer. Et il y mettrait probablement beaucoup d'alcool. Ce qui, étrangement, est peut-être bien ce que tu cherches. Alors tu suis les conseils de l'inconnu. Par-delà le brouhaha ambiant, tu attires l'attention du barman et te penche par dessus le bar pour lui hurler (on s'entend à peine avec la musique) ces quelques mots:

"Une boisson... à mon image?", tu regardes le barman pour vérifier que tu avais bien compris, et que lui-même avait bien compris. "C'est possible?", tu demandes. Il hoche la tête.

Tu l'observes en train de se mettre au boulot. Tu n'arrives pas très bien à voir ce qu'il fait. Il mélange des alcools complètement inconnus sur Terre, mais que tu avais appris à connaître en arrivant à Lux. Sur Terre, tu avais arrêté de boire beaucoup d'alcool. Sur Lux, tu avais recommencé. Tu ne buvais pas énormément, et tu buvais certainement moins que ce que tu pouvais boire à une certaine époque sur Terre. Mais parfois, tu acceptais un verre ou deux. Mais tu ne perdais pas le contrôle; jamais. Tu ne lâchais jamais du regard ton verre. Tu ne t'autorisais pas à boire plus d'alcool qu'il n'en fallait. Et surtout, tu avais toujours sur toi l'une de ces potions préparées par une Lumière, permettant de retourner immédiatement à son état normal. Plus jamais tu ne relâcheras ton attention. Plus jamais tu ne laisseras qui que ce soit... tu frissonnes, et éloigne cette pensée sombre. Tu es ici pour t'amuser.

Le barman revient, et te laisse en face d'un verre longiligne au liquide étrange. La boisson est entièrement noire, mais ici et là, des traits de couleur percent l'obscurité. Du vert, du bleu, du violet, du rouge. Tu te demandes comment il a réalisé cet exploit. Ce n'est pas un verre, c'est presque une oeuvre d'art. Tu lèves les yeux vers lui, impressionnée. Il te fait un sourire malin, conscient de l'effet que le verre provoque chez toi. Ce n'est pas un Créatif pour rien, et tu mettrais ta main à couper que sa Lueur n'est pas étrangère à cela. Tu lui donnes son argent; il l'a bien mérité. Il te remercie et retourne à son boulot. De ton côté, tu te retournes vers l'inconnu à côté de toi. Tu souris.

"Je suppose qu'on peut qualifier ça de... coloré.", tu lui dis.

Tu prends une gorgée. Contrairement à ce que tu pensais, ce n'est pas amer. C'est même plutôt acide; ça te gratte la gorge. Pourtant, le goût reste très agréable. C'est léger. Fruité. Comme un mélange, une explosion de saveurs multiples. Tu ne sais pas vraiment si c'est à ton image. Tu te sens presque fade à côté de ce cocktail. Mais peut-être est-ce flatteur.

Miss Portefeuille. Tu ne comprends pas ce qu'il veut dire. Tu fronces des sourcils, et les rouages de ton cerveau se mettent à tourner. Ah, donc il te connaît. Tu te disais bien que tu avais un sentiment de déjà-vu. Tu soutiens son regard, cherchant à te souvenir. Et soudain, des recoins sombres et flous de ta mémoire, d'une époque que tu aimerais peut-être enterrer, les souvenirs surgissent. Toi, charmant des Lumières à un bar. Toi, en profitant pour voler l'argent dans leur portefeuille dès qu'ils avaient le dos tourné. Ou encore toi, rentrant avec les plus fortunés, et ton équipe qui les assomme pour les cambrioler. Définitivement pas les souvenirs les plus flatteurs. Et un soir, ce gars-là. Tu avais commencé à le charmer, comme tu l'avais fait de si nombreuses fois. Mais ça n'avait pas marché. Tu avais mal identifié la cible. Pour ta défense, c'était encore à tes débuts. On te l'avait répété, pourtant. Des nouveaux venus, qui ne se méfient pas. Tu n'avais pas appris à repérer les plus vieux. Et lui, ce vieil homme, devait connaître ce genre de combine. Mais ce n'était pas que ça. Pas étonnant que ta technique de séduction n'avait pas marché. Tu n'étais pas son genre. Son genre était plus masculin. Beaucoup plus masculin. Les hommes en fait. Son genre, c'était les hommes. Tu n'avais donc définitivement aucune chance de le plumer. Terrible humiliation, mais qui t'avait appris quelques petits trucs. Comme viser des personnes intéressées par les femmes, par exemple. Mais il n'avait pas cherché à te faire arrêter, et à la place, vous aviez discuté. Étrange soirée, pour être honnête. Vous ne vous étiez jamais revus depuis. Et le voilà.

Tu rougis, ouvres la bouche, la refermes. Tu caches ton visage entre tes mains. Quelle humiliation, cette nuit-là. Quelle humiliation. Retomber sur quelqu'un qui non seulement connaissait ton passé peu reluisant, et en plus ne s'était pas fait avoir est vraiment quelque chose dont tu aurais voulu te passer. Tu te lèves, le regard fuyant.

"Je... je vais y aller hein.".

Tu n'as pas envie qu'il pense que tu es encore là pour arnaquer des gens.