Luka était assise devant une pinte, le regard dans le vague. Elle sirotait sa boisson sans vraiment faire attention à son environnement. Une douleur vive à l’arrière de son crâne lui rappelait inlassablement que n’importe qui pouvait soudainement décider de l’assommer avec une tuile si l’envie lui prenait. Les souvenirs de cette journée restaient flous, comme noyés dans un brouillard. Luka porta la pinte à ses lèvres, essayant d’oublier tant bien que mal cette petite bosse qui se formait à l’arrière de son crâne.

Une odeur plutôt désagréable vint alors lui chatouiller les narines. Lentement, distraitement, Luka tourna la tête sur le côté, remarquant alors une présence à sa gauche. Plissant des yeux, la jeune fille se demanda si elle n’avait pas déjà vue cette inconnue quelque part. Sans vraiment s’en rendre compte, Luka pivota son corps en direction de l’inconnue qui avait l’air plus dépitée que passionnée par son environnement. Beaucoup de questions fusaient dans l’esprit de la fougueuse mais elle n’arrivait pas à se caler sur une seule quand soudain… l’inconnue laissa tomber sa tête contre le comptoir. En plus de ce mouvement plus impromptu et brusque, Luka eu le déplaisir de voir la tête de la jeune femme devenir celle d’un ours.

De surprise, et un peu de peur, Luka recracha l’intégralité de sa boisson par le nez. Le tout, évidement, sur l’inconnue qui tourna son énorme tête vers Luka. Ses petits yeux ursins se plantèrent dans ceux de Luka qui, de peur, eut un énorme mouvement de recul qui la déséquilibra. Avant de chuter en arrière, elle eut néanmoins la délicatesse de reposer sa pinte sur le comptoir. Pas de gâchis, quand même.

Luka pouvait presque sentir la gravité l’accueillir dans ses bras invisibles. C’était évidement sans compter sur la femme-ours qui s’élança sur Luka pour l’empêcher de tomber. Les idées confuses, la jeune fille ne savait pas très bien si elle devait la remercier pour l’avoir empêché de tomber ou bien si elle devait hurler de terreur face à cette tête ursine qui la surplombait. Le cœur battait, Luka décida de garder le silence, tentant néanmoins de reculer encore un peu – juste assez pour ne pas être insultante.

Remarquant sûrement l’étincelle de peur dans le regard de Luka, la femme-ours secoua la tête, faisant ainsi apparaître une tête bien plus humaine. Ce qui n’enleva rien à l’horreur que ressentait Luka qui tordait son estomac. Elle tenta vainement d’attraper sa bière pour oublier, mais sa main rencontra le vide, puis le comptoir. Luka n’arrivait pas à détacher ses yeux de l’inconnue qui grimaça, visiblement gênée.

Wow, pardon ! J’ai pas contrôlé, désolé ! Enfin, Luka put atteindre sa boisson qu’elle porta à ses lèvres. Elle but une gorgée, puis deux, puis trois. Puis de nouveau, elle détailla l’inconnue. Nope, c’était toujours bizarre. Une quatrième gorgée était de mise. Oh, mince, c’est toi ! Je. Désolée pour l’autre fois, j’imagine que je viens d’éviter une récidive. Luka plissa les yeux. Comment ça, « c’est toi » ? Un petit rire jaune s’échappa de la bouche de l’inconnue alors que Luka ne savait toujours pas d’où elles se connaissaient.

Une petite pointe de douleur à l’arrière de son crâne tenta de lui donner un indice, mais l’esprit confus de Luka ne parvenait pas à faire le lien pourtant logique. Luka but une dernière gorgée, finissant ainsi sa boisson beaucoup plus vite que prévu.

« Je sais pas qui t’es. »

Sans s’en rendre compte, Luka caressa sa tête, là elle pouvait encore sentir la bosse de l’incident. Elle plissa les yeux une dernière fois, cherchant sa mémoire embrumée d’où elle pouvait bien connaître une femme ours, mais rien ne lui venait à l’esprit. Alors elle haussa les épaules, comme si cela l’indifférait au plus au point.

« Merci quand même pour le… sauvetage. Je suppose. »

Sans dire un mot de plus, Luka se retrouva avec une nouvelle pinte glissée sous ses yeux. Peut-être qu’elle la descendrait plus doucement, cette fois-ci. Luka marmonna un bref merci en direction de la femme-ours qui lui avait offert cette deuxième tournée avant de perdre son regard dans la boisson. Elle avait toujours cette impression de connaître l’inconnue mais ne réussissait pas à comprendre d’où pouvait bien venir ce sentiment. Ironiquement, un délicat mal de tête vint lui chatouiller l’arrière du crâne. Parfait.

Luka se demandait elle devait continuer la conversation avec l’inconnue ou juste se noyer dans son silence. Comme réponse à son questionnement silencieux, l’inconnue décida de prendre les devants pour relancer la conversation. Bon, moi je te connais. Ah. J’imagine que tu te souviens l’autre jour tu t’es pris une tuile dans la tête. Effectivement. C’était moi, j’en suis désolée. Luka plissa des yeux en direction de l’inconnue. La femme-ours était aussi une tuile… ?

Puis soudain, les rouages du cerveau de Luka se mirent en place. La tuile ! L’ombre sur le toit ! Mais oui ! Luka avait envie de se mettre des baffes. Une femme-ours-tuile, mais bien sûr. Peut-être ne devrait-elle pas boire cette deuxième pinte, finalement. Le silence s’éternisa encore quelques secondes durant lesquelles Luka se contentait de fixer l’inconnue, cherchant visiblement sur quel pied danser.

« Pourquoi t’as fait ça ? »

Il n’y avait aucun jugement dans la voix de Luka. Instinctivement, elle porta sa main à l’arrière de son crâne, ravivant ainsi la douleur du souvenir. Luka voulait réellement savoir les motivations derrière ce geste plutôt violent. Est-ce qu’elle l’avait visée ? Est-ce qu’elle s’entraînait aux championnats de lancer de tuiles ? Tant de questions, si peu de réponse. Distraitement, Luka porta la pinte à ses lèvres et but une petite gorgée, ne lâchant pas son regard de l’inconnue.

Délicat malentendu. Luka leva un sourcil dubitatif, attendant patiemment la suite des explications. Puis la femme-ours se mit à boire une gorgée de bière, augmentant ainsi la curiosité de Luka. Qu’est-ce qui pouvait être si délicat à expliquer qu’il faille prendre du courage dans de la bière ? Par principe de mimétisme, Luka porta à son tour la pinte à ses lèvres pour s’en délecter de quelques gorgées.

Finalement, la femme-ourse expliqua qu’elle avait simplement voulu jouer la justicière masquée en évitant un vol à l’arrachée. Drôle de façon de jouer aux héroïnes. Luka ne put qu’accentuer davantage le mouvement de ses sourcils, devant lui donner un air faussement étonné. À partir de quel moment balancer une tuile est-elle une solution viable dans la tête de quelqu’un pour empêcher un vol ? Surtout si la voleuse était une gamine. Cette femme-ourse était définitivement un danger public.

Finalement, comme si elle pouvait lire dans les pensées de Luka, la femme-ourse se tourna brusquement vers Luka. Pour peu, la concernée aurait pu s’étouffer de surprise mais elle réussit à feindre une indifférence presque maîtrisée. Le regard brûlant de la femme-ourse sur elle, Luka avait l’impression d’être minuscule. Je ne te voulais aucun mal et c'est un terrible geste de ma part. Je suis sincèrement navrée du choc que tu as pu recevoir et j'espère que ce n'était pas trop grave.

Luka reposa délicatement sa pinte sur le bar, en sentant toujours le regard de la femme-ourse la détailler de haut en bas. Pour peu, Luka aurait eu l’impression d’être complètement nue. Elle se racla la gorge et planta son regard dans celui de l’inconnue.

« Qu’est-ce qu’un traumatisme crânien dans la vie, hein… »

Luka tenta d’afficher un sourire timide. Avec un peu de chance, la femme-ourse arrêterait de la dévisager comme si Luka allait s’effondrer d’un instant à l’autre. Jugeant qu’il valait mieux être amie avec une justicière téméraire plutôt qu’ennemie avec, Luka décida de continuer la conversation, l’air de rien.

« Du coup, c’est quoi ton nom Wonder-woman ? »

La femme-ourse semblait plus détendue que quelques instants plus tôt, ce qui rassura Luka. La situation était déjà gênante de base sans qu’on continue sur cette même lancée… Avec un peu de chance, peut-être même qu’elles pourraient devenir amies ?

« Wen, à ton service mademoiselle. »

Lui répondit la femme-ourse en lui tendant sa main. Plutôt amusée par la situation, Luka lui prit avec un petit sourire aux coins des lèvres. Elle planta son regard dans celui de la dénommée Wen et eut le plaisir d’y découvrir une pointe de… douceur ? Peut-être était-ce l’alcool, peut-être était l’ambiance, mais Luka se sentit presque rougir.

« Et à qui ai-je à l’honneur ? »

Demanda Wen alors que Luka était en train de s’épancher d’une bonne gorgée de sa boisson, la finissant par la même occasion. Le temps qu’elle repose sa choppe et qu’elle se passe le dos de la main sur les lèvres, Wen avait déjà embrayé sur autre chose, une étincelle de malice dans le regard.

« Je vais te proposer un deal. Je t'en dois une, et une bonne. Je te propose donc, pour me faire pardonner, d'être, je sais pas, ta femme à tout faire ou ton génie, tu as le droit à trois vœux, que je dois réaliser. N'importe quoi. »

Luka ne résista pas à l’envie et éclata de rire. Pas longtemps, juste assez pour signifier sa surprise et son amusement. Puis, sûrement à cause de l’alcool qui venait lui piquer les narines, elle s’approcha soudainement très près de Wen, se penchant sur son tabouret de façon presque dangereuse.

« L’envie est tentante… Est-ce que je dois utiliser les vœux maintenant ou je peux arriver soudainement dans ta vie et t’exiger quelque chose ? »

Puis, manquant de glisser de son tabouret, Luka se recula maladroitement, une étincelle toujours malicieuse dans le regard.

« Je suis Luka, en passant. Tu peux m’appeler maître. »

Pour une raison toujours aussi inconnue, Luka pointa ses doigts vers Wen, imitant un faux pistolet de ses deux mains, et lui fit un clin d’œil. Puis, elle se pencha de nouveau vers Wen et lui murmura plus bas :

« Je rigole, fais pas ça… »