Luka avait une nouvelle crise existentielle. Encore. Évidemment, sa conversation avec Mackenzie lui avait remis un peu les pendules à l’heure, mais cette fois c’était pour une tout autre raison. Les Roublards et les Droits étaient bien loin dans l’esprit de Luka qui était maintenant tiraillée par un autre problème : les fonds de l’Orphelinat commençaient à manquer cruellement, mais également les siens ! Luka était complètement à sec et avait commencé à se nourrir exclusivement de céréales et d’eau depuis quelques jours. Elle avait évidemment songé à prendre sur les repas des enfants, justifiant qu’elle avait le droit de se nourrir sur le lieu de travail… mais eh, conscience professionnelle, tout ça.

Luka avait donc entamé une nouvelle quête. Elle reprit son sac à dos, celui abandonné depuis des mois, remis ses chaussures de marche et c’est avec un regard déterminé qu’elle avait décidé de partir à l’aventure. Rien de bien honorable là-dans, Luka comptait juste récolter assez de baies et de plantes pour tenir les prochaines semaines sans avoir à écouter son ventre hurler entre deux réunions. La raison aurait voulu que Luka prenne un job définitif à l’Orphelinat, mais elle ne connaissait que trop bien les chiffres qui faisaient tourner le lieu pour savoir que personne n’aurait de quoi la payer. Et puisqu’elle refusait d’analyser les drogues, les Roublards ne lui fournissaient plus non plus d’argent. Quelle vie !

Luka était à la fois excitée et terrifiée à l’idée de repartir à l’aventure. Elle n’avait jamais été très douée pour explorer de terres inconnues et encore moins toute seule. Néanmoins, la forêt – surtout celle proche de Lux – regorgeait de choses connues et de peu de danger. Les premières heures se passèrent plutôt bien, Luka fit le plein de baies en tout genre et ne rencontra rien d’autre qu’un petit renard qui était bien plus effrayé qu’elle.

Alors que la fatigue commençait à poindre le bout de son nez, Luka eut le bonheur de discerner une cabane au loin. Elle s’en approcha joyeusement, en fit le tour, puis décréta qu’il n’y avait rien de dangereux dedans – qu’est-ce qui pourrait être dangereux dans une cabane en bois ? Luka se glissa donc à l’intérieur sans peur et commença à en faire le tour. Il n’y avait pas grand-chose à voir, elle semblait abandonnée depuis des années. Peut-être qu’elle pourrait y dénicher les réserves de quelqu’un ? Est-ce que Luka avait réellement envie de voler les réserves de quelq–

Un grincement. La porte venait de grincer. Un frisson de peur remonta l’intégralité du corps de Luka qui empoigna la première chose qu’elle trouva : un pied de chaise cassé. Tremblante, Luka tenta de se faire toute petite dans l’obscurité alors que des pas se rapprochèrent. Luka leva son pied de chaise.

« Bonjour ? Y’a quelqu’un ? »

Si la peur n’avait pas été le maître-mot de Luka à cet instant, elle aurait pu reconnaître la voix. Au lieu de ça, tout lui semblait soudainement effrayant. Le cabane abandonnée dans les bois. Le grincement de la porte. Les couinements du bois à chaque pas que l’inconnu faisait dans sa direction. Ce petit courant d’air froid qui vint lui chatouiller les narines. Luka était terrifiée. Les pas se rapprochèrent de nouveau. Luka déglutit avec difficulté puis sortit de l’ombre en hurlant, le pied de chaise levé bien haut, menaçant.

« AAAAAAAAAAAAH, hurla Luka en guerrière. AAAAAAA– Alban ? »

La voix de Luka était immédiatement retombée, en même temps que ses bras le long de son corps. Finalement, le ridicule de la situation l’emporta et Luka pouffa de rire.

« Qu’est-ce que tu fais là ? »

Alban riait aux côtés de Luka et juste pour cette raison, Luka se sentait mieux. Elle oublia sa tristesse, elle oublia même la raison de sa venue ici. Elle ne pouvait que rendre son sourire à Alban, incapable de détacher son regard de lui. Il avait cette aura, si solaire, que Luka se sentait bien peu importe où elle était temps qu’il était là.

« J'étais venu me poser pour manger un truc, mais je vois que l'endroit est déjà pris. »

Luka pouffa de nouveau et leva les yeux au ciel. Elle n’avait pas besoin de lui dire quoique ce soit qu’il était déjà en train de déposer sa pioche contre le mur avant de s’alléger de son sac. Luka, quant à elle, reposa définitivement le pied de chaise sur le comptoir de ce qui avait été jadis une cuisine. Elle s’appuya sur le rebord de ce qu’il restait de l’évier et regarda Alban qui souriait, comme d’habitude, complètement à l’aise dans cet environnement austère.

« Et toi, qu'est-ce que tu fais là ? Je pensais pas te trouver ici. »

Ah, le dur retour à la réalité. Luka se passa une main dans la nuque, l’air gêné. Est-ce qu’elle pouvait réellement lui dire « Hé, je crevais la dalle, alors quoi de mieux que de retourner aux sources pour manger des baies ! En passant, j’ai quitté les Fougueux parce que je suis une lâche. Et toi, quoi de neuf ? » Non, Luka ne pouvait définitivement pas dire ça. Elle se racla la gorge. Elle ne pouvait pas mentir non plus. Pas à Alban. De toutes les personnes qu’elle connaissait, Alban était sûrement la plus honnête de toutes. Luka aurait été bien incapable de lui mentir si elle voulait continuer de se regarder dans une glace.

« La ville, c’est devenu le bordel. Enfin, je suppose que ça l’a toujours été. Du coup, rien ne vaut une bonne vieille randonnée. »

Luka leva les deux pouces en l’air, comme si elle n’était pas du tout en train de tourner autour du pot, bêtement. Son ventre décida de crier la vérité à sa façon en gargouillant si fort qu’il fit presque trembler les murs. Luka, gênée, plaça ses deux mains sur son ventre, puis pouffa de rire.

« Et j’ai la dalle aussi. Mais je cache bien mon jeu, alors tu l’as peut-être pas remarqué. Je suis une très bonne actrice. »

Rien ne vaut un peu de sarcasme pour cacher sa gêne.