Luka revenait de plusieurs mois loin de la civilisation, perdue dans la montagne. Elle s’était éloignée des autres afin de faire une rétrospection sur elle-même, sur ce qu’elle voulait dans la vie. Cela faisait plus de deux ans qu’elle était arrivée sur Lux, plus de deux ans qu’elle avait dû apprendre à vivre sans l’amour de sa vie… et malgré tout ça, tous ces mois passés à tenter d’oublier, Luka avait l’impression de revenir sans cesse au point de départ. Une seule question ressortait de cette absence prolongée : qui était-elle ?
Son retour dans la ville fut… plein de changement. Sans même le voir venir, elle était de nouveau une Roublarde. À quoi bon lutter contre sa nature première ? C’était avec eux qu’elle se sentait mieux. Elle avait tenté de se lier avec des Fougueux mais ça ne donnait jamais rien. Tout le monde était… trop différent, trop solitaire. Luka avait besoin de quelque chose de plus solide, de plus fort. Elle avait besoin d’avoir une famille, et sa famille venait de la rue. Alors, elle jura de nouveau allégeance au Roi des Thunes. Après tout, il avait toujours été là, lui, non ? Surtout pour les plus démunis.
Mis à part ce détail, la vie de Luka reprit normalement son rythme. Elle retourna à l’orphelinat, elle fit de nouveau le tour des brocantes et vide-greniers pour récupérer des trésors qu’elle redonnait aux enfants. De temps en temps, elle était missionnée par les Roublards pour des affaires louches qui utilisaient son pouvoir, alors elle tentait d’en savoir le moins possible et elle se contentait de faire son travail. Globalement, Luka avait l’impression que rien n’avait changé… mais il y avait toujours ce petit quelque chose en plus, ce petit vent de changement qui l’enveloppait. Peut-être s’approchait-elle lentement de la réponse à sa question ?
Assise à une terrasse d’un café, Luka admirait les rayons de soleil qui se faisaient avaler par l’horizon d’immeubles. La fin d’après-midi apportait avec elle une fraîcheur agréable, faisant frissonner Luka. Cela ne valait pas la vie à la montagne, mais cela lui rappelait chez elle, son vrai chez elle. Portant son thé froid à ses lèvres, Luka s’autorisa à une petite visite parmi ses souvenirs, avec Romy à ses côtés.
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Le ventre creux, la mine pâle, le regard vide, Wen déambule dans les rues de Lux sans se rendre compte de son piteux état. Aujourd'hui, pour une raison inconnue, elle se sent mal, vidée, déprimée, la totale. Elle laisse son corps la guider sans trop se poser de question, parfois l'instinct est plus fiable que le cerveau.
Son esprit, quant à lui, se contente de vaquer à ses propres occupations. Il l'occupe, la distrayant de ses jambes qui continuent d'avancer d'un pas traînant. Il lui demande encore si cet état végétatif est lié à l'âge, si enfin elle se déciderait à aller poser la question à quelqu'un qui sait réfléchir, à Dara peut-être ? Ou à un autre ancien, ceux-ci font peut-être de vieux os également.
La tirant de ses pensées, son ventre s'exprime enfin. Comme tout le reste de son corps aujourd'hui, il se plaint. Il grogne, pour être précis.
Mais oui ! Depuis hier midi qu'elle n'a pas mangé ! Qu'elle n'y a pas pensé ! Trop occupée à être dans ses délires pensifs elle ne se rend plus compte de ses propres besoins vitaux. Wen s'arrête au beau milieu de la rue pour porter une main punitive à son front. Mais quelle idiote.
Elle tourne en rond quelques secondes avant de repérer un café. Ils proposent des encas, parfait. Elle fouille ses poches, retrouve son petit porte-monnaie dans sa poche arrière, comme toujours, et se dirige vers l'établissement d'un pas un peu moins fébrile. Elle traverse la terrasse, bouscule légèrement une personne assise à sa table sans vraiment y faire attention et s'excuse sans vraiment se retourner. Elle choisit le premier sandwich qu'elle aperçoit, paye et va s'asseoir en terrasse. Son ventre crie, elle soupire et s’apprête à enfin se rassasier.
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Luka avait fermé les yeux, profitant de la brise et de la fraîcheur. Elle était chez elle, au Danemark, en train de boire un verre en terrasse, alors que l’hiver commençait à embrasser le port. Il y avait Romy aussi, à ses côtés, en train de partager de grandes théories pour le futur, leur futur, mais Luka n’écoutait pas vraiment. Peut-être aurait-elle dû plus écouter ?
Luka fut ramenée brutalement à la réalité lorsqu’un corps inconnu vient mollement s’écraser sur son coude, provoquant le renversement immédiat de l’intégralité du thé froid sur les habits de Luka. La jeune fille se releva brusquement, trop surprise pour réagir tout de suite. Quelques secondes plus tôt, elle était au Danemark, chez elle… et maintenant elle était de nouveau sur Lux, sans personne à ses côtés. Les larmes vinrent lui piquer les yeux à cette réalisation.
Pourquoi ? Pourquoi était-elle coincée dans ce monde improbable, loin de tous ceux qu’elle avait aimé ? Alors qu’une larme silencieuse glissait sur la joue de Luka, un petit garçon vint lui tendre un mouchoir, lui indiquant une table au loin. La méchante est là-bas… Luka mit un instant à comprendre… puis un brise froide lui rappela le liquide imbibé sur son pantalon. Elle suivit des yeux le doigt du garçon et aperçut au loin une silhouette plus ou moins familière. Remerciant le jeune homme, Luka se dirigea vers l’autre table. Elle avait grandement besoin d’une distraction.
Alors qu’elle fit le tour de la table pour voir qui était cette inconnue qui persistait à être de dos, Luka fut surprise d’y trouver Wen. La même qu’il lui avait éclaté une brique sur la gueule. Qui avait bu une bière avec elle avant de changer drastiquement d’humeur. Luka plissa des yeux un instant alors que Wen levait les yeux dans sa direction, plus surprise que réellement intéressée parce qu’il se passait.
Luka s’assit et tapa du poing sur la table, plus par réflexe que par menace, en plantant son regard dans ce lui de Wen.
« Tu me dois un lavage. »
Luka indiqua mollement son jean des yeux mais Wen ne semblait pas comprendre. Luka secoua la tête, incapable de savoir si elle était agacée ou amusée par ce comportement.
« Tu m’as bousculé. Renversé ma boisson sur moi. Tu regardes où tu marches parfois ? »
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Décidément. Bouche grande ouverte, prête à croquer. Et elle ne croque pas encore. Il y a ce grand corps qui se dresse face à elle, s'impose.
Tu me dois un lavage.
Sa bouche se referme, ses yeux posent la question.
Tu m’as bousculé. Renversé ma boisson sur moi. Tu regardes où tu marches parfois ?
Pas moyen de survivre en paix. Wen toise Luka. Luka. Encore Luka. Elle ne comprend pas. Elle la toise, et en même temps, ne pouvant plus attendre ni réfléchir, mord dans ce fameux sandwich. En quelques secondes seulement ses sens lui reviennent. Ah les joies de l’hypoglycémie. Ses idées s'éclaircissant, elle adresse à Luka un regard navré tandis qu'elle termine sa bouchée. Cette même personne qu'elle martyrise sans en avoir l'intention depuis des semaines, même pour Wen ça tourne au cauchemar. Comme une enfant prise sur le fait, Wen termine une deuxième bouchée avant de bien vouloir répondre.
Chui désolé. Sérieusement, je ne fais pas exprès.
Code d'honneur : à l'eau. Réputation ? Foireuse. Maintenant, en plus d'une dette, elle lui doit un haut. Et Wen est nulle en shopping. La réaction la plus conne et raisonnable serait de lui filer toutes ses thunes et de lui laisser dans sa boite aux lettres un petit mot estampillé "désolé". Mais bon, le pardon ne s'achète pas, et ça ne veut pas dire qu'elle arrêterai ses bêtises de vieille folle. Décidément.
Wen fronce ses sourcils. Comment faire cette fois-ci ? Curieusement, elle se sent moins gênée que la dernière fois. Peut-être s'y habitue-t-elle, à être bête.
J'avais faim.
Dit l'ours.
Tu parles d'une excuse.
Elle plante un regard sérieux dans celui de Luka.
Très faim.
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« Chui désolé. Sérieusement, je ne fais pas exprès. »
Luka leva un sourcil dubitatif alors qu’un demi-sourire amusé se dessinait sur son visage. Quant à Wen, elle fronça les sourcils comme si l’idée même de devoir continuer cette conversation l’épuisait.
« J’avais faim. Très faim. »
Luka ne put s’empêcher d’éclater de rire. Un rire franc et sincère qui contrastait complètement avec l’air sérieux et morne de Wen. Une étincelle de malice dans le regard, Luka toisa Wen d’un regard compatissant.
« Ah bah si ce n’est que ça, je comprends alors ! »
Le sarcasme coulait de la voix de Luka, mais elle ne pensait pas à mal. À vrai dire, cette petite distraction l’avait emmené loin de Romy et du Danemark, alors pour ça, elle remerciait mentalement Wen et sa maladresse. Décidant qu’elle ne voulait pas retourner dans ses souvenirs, Luka tira la chaise en face de Wen et s’installa sans attendre l’accord de la femme-ours.
« Tu manges quoi du coup ? »
Cette conversation ne faisait aucun sens, mais Luka avait ce besoin qui la dévorait de l’intérieur, ce besoin de parler, d’oublier qui elle était, d’oublier où elle était. Alors, elle parlait sandwich avec la première venue.
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