L’ambiance était festive, les lumières semblaient venir de toutes parts et éclairer chaque recoin de la salle, tandis qu’Alasie étouffait. Elle avait déjà abandonné sa cravate, et ouvert deux boutons de sa chemise tant la chaleur de la pièce la mettait mal à l’aise. En enlever plus serait du mauvais goût, et presque de l’indécence. La Marquise ne le lui pardonnerait peut-être pas. Elle gardait donc sa veste sur ses épaules, et sa chemise presque entièrement boutonnée, se frayant un chemin jusqu’au balcon, pour y respirer quelques minutes. L’air de dehors n’était pas frais, mais il l’était déjà plus qu’à l’intérieur. Pourquoi Alasie était-elle une mondaine ? Tout serait bien plus simple si elle n’avait pas à se rendre à ces fêtes. Elle n’imaginait pas le calvaire que ça devait être pour ceux qui passaient toute l’année en ville, et qui assistaient à presque toutes les soirées de la Marquise.  

Quand elle se sentait un peu mieux, Alasie retourna à l’intérieur, où elle fut abordée par un jeune homme, qu’elle savait être plus vieux qu’elle en réalité. Un garçon fringant, qui aimait plaire aux autres, et qui aurait sûrement réussi son coup s’il n’était pas complètement bourré. Discrètement, Alasie l’amena plus loin pour l’asseoir sur une chaise, avec un grand verre d’eau. Il ne faisait pas bon être trop alcoolisé chez la Marquise.  

Finalement, Alasie commençait à fatiguer. Un regard vers l’horloge lui signifia qu’elle pourrait bientôt partir sans paraître trop impolie, et elle se saisit donc de son sac avant de partir en direction du buffet. Elle avait bien assez mangé pour ce soir, mais elle savait que ce n’était pas le cas pour tous. De nombreux enfants et roublards avaient du mal à trouver de quoi se nourrir, et de toutes façons, elle savait que les invités ne mangeraient pas tout ce qu’il restait sur cette table. Laisser ce festin ici serait du gâchis, alors elle prit quelques petites boites dans son sac, dans lesquelles elle déposa divers mets : un peu de viande, quelques légumes, des petits gâteaux. Elle essayait de varier, pour pouvoir faire plaisir à un maximum de monde.  

Tout aurait pu merveilleusement bien se passer, si Victoria ne l’avait pas vue. Victoria était du genre assez insupportable. Droite comme un i, elle était persuadée d’avoir raison sur tout, et était à elle seule une sorte de stéréotype des Mondains à éviter. Imbue d’elle-même, persuadée que les pauvres roublards devraient rester à leur place ou croupir en prison, ce genre de joyeusetés qu’Alasie n’appréciait pas spécialement. Durant leurs longues vies, elles ont eu le malheur de se croiser plusieurs fois. Souvent, Alasie était du côté des roublards, tandis que Victoria était prête à tous les amener au poste. Avec un soupir, Alasie se tourna vers la Mondaine et lui sourit de la manière la plus hypocrite possible.

“Victoria, quelle surprise, quel bonheur ! Je ne pensais pas te voir ce soir, ta langue n’est pas en train de lustrer les bottes de la Marquise, pour une fois ?”

Evidemment, Victoria allait crier. C’était inévitable. Ou au moins exprimer son agacement sur une chose ou une autre. Alasie avait donc la gentillesse extrême de lui donner une bonne raison d’être énervée en l’insultant légèrement. Encore que, plus qu’une insulte, ce qu’elle disait ne s’éloignait pas tant que ça de la vérité.