We're old people

Foxglove n'appréciait pas forcément la compagnie des femmes. Il avait eu quelques béguins pour certaines d'entre elles, une préférence évidente pour le stéréotype de la jeune fille instruite, lunettes et tresses, livre à la main. Il n'avait jamais rien tenté, et ne le regrettait aucunement. Hormis avec sa mère, et quelques enfants complices de son âge, il avait eu de mauvaises expériences avec la gente féminine, autant qu'avec celle masculine : il les pensait tout aussi destructrices qu'eux, mais encore plus fourbes. Le plus gros défaut qu'il leur trouvait, était qu'elles appartenaient au genre humain. Gros trait négatif qu'avait la population dans son entièreté ; vraiment triste si l'on voulait son avis.

Malgré cette hostilité à l'égard d'autrui, il aimait la compagnie de Dahl. Il lui faisait même assez confiance. Un véritable exploit, première fois en soixante-dix-huit ans d'existence. Bien évidemment il avait toujours quelques doutes concernant ses attentions et le futur de leur relation, puisqu'il ne savait pas entièrement sa définition de justice, ni ce que sa personnalité cachait. Il supposait que tant qu'elle ne s'en prenait aux innocents, la situation resterait comme tel. C'était en tout cas agréable d'avoir une oreille pour se confier.
Il lui avait raconté les deux grandes guerres, ce qu'ils avaient fait à sa mère. Foxglove n'appréciait pas forcément les femmes, certes, mais il ne leur souhaitait en aucun cas un malheur injuste.

Il l'avait invité aujourd'hui à prendre le thé, breuvage auquel il avait pris goût durant les années passées à Lux. Il avait également sorti des journaux où l'on pouvait faire des mots croisés, le brun pensait que cela leur ferait une occupation si la conversation venait à tourner court – le silence était loin d'être source de gêne pour lui, il était même d'or, comme le qualifiait le proverbe.

Dahl arriva lorsqu'il finit de dresser la table basse. Il la salua, proposa d'accrocher son chapeau au porte-manteau, et la guida jusqu'au salon où il lui désigna un fauteuil pour qu'elle puisse s'y asseoir.

- Je vous en prie installez-vous, je vais vous servir une tasse... J'espère que le thé sera à votre goût... ? C'est un Earl Grey...

Il serait fortement embêté s'il ne l'était pas : il n'en avait d'autres à lui proposer.

We're old people

Il ne savait point s'il fût nécessaire de vouvoyer quelqu'un qu'il connaissait depuis un moment maintenant, seule amie qu'il avait... Peut-être la respectait-il beaucoup trop pour user du « tu », ou ne voulait-il pas être trop proche d'elle. Il ne savait pas, et ne réfléchissait pas forcément à la question.

Après leur avoir servi le thé, il s'installa en face d'elle et hocha la tête. Il aurait pu se contenter de ce geste et passer à autre chose, mais il n'avait pas inviter Dahl pour répondre en mouvements et monosyllabes comme il le faisait bien trop souvent. Parfois, il envisageait de se faire passer pour muet pour justifier son manque de réponse.

- Plutôt bien, merci... Et vous... ?

Son devoir accompli, il prit la tasse pour la siroter tranquillement. Le thé n'était pas sa boisson préférée. Il aimait le café et, de manière moins avouable, le chocolat chaud, qui était presque un luxe pendant la pénurie de la Première Guerre Moniale, et meilleur ici que dans son enfance. Il buvait rarement d'alcools, évitant soigneusement ceux qui étaient d'origines allemandes et françaises. Non pas qu'il espérait faire ainsi couler l'économie de ces deux pays – il était coincé sur Lux, après tout – mais il était certain qu'il serait écœuré à l'idée de boire l’œuvre de ses ennemis de toujours ; était-il son propre ennemi ? Certainement. Mais il le vivait plutôt bien.

We're old people

Il ne pu s'empêcher de rougir en entendant son compliment – qu'est-ce que Dahl peut-être flatteuse, il n'avait cependant pas besoin de cela pour apprécier sa personne, voir sa simple compagnie.

- Un peu moins de clients ces temps-ci, mais cela me permet de travailler sur de nouveaux modèles. Merci de demander.

Il bu quelques gorgées de son thé, qu'il avala de travers. Ah, la voilà, la fameuse conversation sur les Roublards, assez récurrentes entre eux ; elle ne pouvait pas plus mal tomber. Il pouvait encore sentir le bleu récemment disparu

- N-Nous faisons la même chose que les autres habitants, seulement de manière plus discrète.

Il soupira doucement, secoua la tête. Foxglove essayait de ne pas laisser transparaître la moindre inquiétude ; compliqué quand ses mains s'étaient mises à trembler, un peu de thé s'était échappé de sa tasse et avait aspergé l'une d'elle. Il ignora la brûlure.

- Je... Je ne suis cependant pas au courant de ce qu'il se passe, ou peut-être que oui mais je n'ai pas attention ? On entend tellement de chose quand l'on est enfermé- je veux dire... L'inverse, on entend peu de choses... Qu'ont-ils fait cette fois-ci ?

Bien joué. Ce n'était pas du tout suspect.