Paraît qu'un jour un grand navire est parti affronter la mer et qu'il n'est jamais revenu. Le Titanic. Coulé, comme tant d'autres, dans l'océan profond. Enfin, ça, c'est ce que Butch en sait. Elle a vu le film une fois, et elle l'a trouvé bête. Elle se rappelle juste du joyau ridiculement énorme et de la coupe de cheveux de Leonardo Di Caprio : une inspiration pour la jeunesse.

C'est pas pour ça qu'elle est là, de toutes façons.
Elle a des bières dans ses poches de veste, et elle a même plus de cravate, Butch. Son service est terminé. Elle a mal au dos et mal aux pieds, pour une fois. Et elle a envie de rester seule face à l'horizon, à penser à autre chose que ce qui lui bouffe le cerveau petit à petit.

Mais Wen est là, et elle peut pas l'esquiver: elle l'aime bien, Wen, même si elle est sur la plage réservée à son apéro de ce soir. Alors elle lui sourit, en silence, et elle plante une bière dans le sable avant d'ouvrir la sienne. Le soleil se couche. Le ciel est beau.

Elle a rien à rajouter.

S'il faut trinquer, alors elle trinquera - et si c'est avec Wen, c'est avec plaisir qu'elle le fera. Les bières s'entrechoquent doucement, comme pour saluer la mort du soleil avec révérence, et elle boit. C'est moins frais que ce qu'elle espérait. Tant pis. Il n'y a que les allemands en vacances qui partent avec la glacière.

Butch étend ses jambes devant elle et s'étire, pour en venir au constat qu'elle s'était refusée d'admettre toute la semaine: elle est épuisée. Ses articulations couinent presque de soulagement alors qu'elle les repose enfin. C'est rigolo, quand on y pense. Elle n'a pas couru. Elle n'a même pas fait d'effort particulier, et elle ne s'est pas non plus servie de sa lueur. Elle n'a juste pas dormi. C'est idiot.

Elle regarde Wen, de coté. Elle ne sait pas bien si elle doit dire quelque chose, prendre des nouvelles, ce genre de trucs. Alors elle ne dit rien, et elle sourit juste, le regard un peu flou, et elle boit encore avant de retirer sa veste qui s'affaisse mollement dans le sable. Elle retire même ses bretelles, qu'elle laisse retomber sur ses hanches. Elle le regrettera, demain, en tentant de nettoyer tout ce bordel.

Mais c'est loin, demain.

Les derniers rayons disparaissent, engloutis dans la mer infinie, pour ne plus en ressortir avant le lendemain matin. Butch, anormalement poète, songe qu'ils sont un peu identiques: appelés à mourir mais jamais réellement. Toujours le retour attendu le lendemain matin.

C'était bien.
Ouais, c'était bien.

Butch acquiesce d'un signe de tête, boit encore, et voit Wen s'affairer autour d'un tas de bois: alors que la policière sort sa pipe, petit plaisir qu'elle se garde pour le week-end, qu'elle se coince entre les lèvres après l'avoir bourrée. Allumette à la main, elle voit Wen frapper ses cailloux avec régularité, et allume sa pipe avant d'intervenir.

"Je sais que c'est pas très....survie-friendly. Mais avec ça ce sera plus rapide."

Wen a l'air furax. Butch ne bouge pas. C'est le vingt-et-unième siècle: c'est bien joli de taper deux cailloux entre eux pour faire du feu, elle même est strictement incapable de le faire, mais le miracle de la civilisation s'est débrouillé pour qu'elle n'aie pas à le faire. Et c'est aussi bien, selon son propre aveu. Elle tire une bouffée pensive de pipe avant de voir, en un éclair, Wen se transformer et presque se ruer vers elle. Ou alors c'est juste un grognement?

Elle a laché sa pipe dans le sable tout de même, et le rush d'adrénaline nourrit bien volontiers sa lueur qui n'attendait que ça. Elle se tâte, un instant, à faire une démonstration de force, mais ça ne servirait à rien.

C'est une blague. Tout est une blague, et celle-là est drôle.

Alors Butch rit, en même temps que son amie, et elle ramasse sa pipe, tranquillement.

"On devrait t'avoir chez les Droits. Tout le monde se tiendrait bien mieux après un coup pareil."

Elle ne le pense pas vraiment.
Enfin.
C'est compliqué. C'est très flou. Elle ne sait pas bien ce qu'elle pense. Est-ce qu'elle a d'autres bières dans sa veste à poches?

Wen refuse net, comme elle a du refuser à son arrivée, d'envisager la droiture pour elle. C'est dommage, mais en même temps, Butch est pas VRP de son cercle. Elle a choisi la fougue, c'est son droit. Et ce n'est peut-être pas si mal de ne pas avoir une force de police composée d'ours en uniformes.

Mais elle s'étouffe discrètement en la voyant lui faire un clin d'oeil avec la pique très claire qu'elle vient de lui lancer. La vraie droiture, ah ouais? Rien que ça. Butch se redresse.

"La vraie droiture? Y'en a une fausse? On m'a pas fait passer le mémo."

La défense était un premier réflexe qui l'avait sortie de pas mal de mauvais pas. Mais elle ne pouvait pas rester là dessus. Pipe en main, c'était l'heure de l'interrogatoire.

"Qu'est ce que tu entends par "vraie droiture"?"

Butch se fait plus con qu'elle ne l'est: elle a déjà une petite idée de la réponse. Mais elle veut l'entendre d'une autre bouche.