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Clairement, Luka n’avait pas le temps de discuter. Alasie n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait bien se passer dans sa tête pour qu’elle ait besoin de silence, mais ça devait sûrement être important, et elle décida donc de respecter son souhait, et se tut pour la suite. Elles descendirent la pile de carton petit à petit pour la placer dans une remorque, parfois aidées par des inconnus. Rien de bien compliqué, même si une demi-heure à monter et descendre cet escalier pouvait finalement être comparable à une bonne heure de marche à la montagne.
Puis vint la partie fun. Celle où Alasie devait tirer la remorque jusqu’à l’orphelinat. Dans une pente. En vérité, il n’y avait pas autant de fun que ce qu’elle espérait. Le plus dur était de courir assez vite pour éviter de se faire écraser par la remorque qu’elle tirait, tout en gérant la vitesse pour ne pas être un danger public. Tandis qu’Alasie était dans cet état de mi-panique mi-amusement, quelques enfants se joignirent à elles, grimpant sur la remorque aux côtés de Luka. Parfait, comme ça Alasie avait encore plus de vies humaines sous sa responsabilité. Une raison de plus de ne pas s’écraser contre le premier immeuble qui venait.
À l’arrivée, Alasie était clairement en sueur, et l’aide pour amener les cartons à l’intérieur était bien nécessaire. Plantée là, devant la grande bâtisse, elle fut soudainement frappée par la différence entre son habitation, et celle de Sélim. Même s’il l’avait aménagée en orphelinat, il était clair qu’ils ne jouaient pas dans la même cour. Sélim était un bon exemple du mondain adapté à la vie en société.
Lorsque vint le moment de suivre Luka afin de s’assoir dans des pouffes, Alasie ne se faisait pas prier. Elle avait besoin de se reposer, et de faire tomber sa chaleur corporelle. Elle ne supportait naturellement pas la chaleur, et les efforts physiques n’avaient rien arrangé. Lorsqu’un enfant vint leur apporter des boissons fraîches, elle l’accueillit comme un prince plein de clémence, et avala sa limonade d’une traite. Elle n’était toujours pas parfaitement refroidie, mais se sentait déjà un peu mieux. Suffisamment pour ne pas avoir envie d’enlever sa seule couche de vêtements, ce qui aurait certainement été mal vu.
Pendant ce temps, Luka entreprit de répondre aux questions posées par Alasie une heure plus tôt. Elle l’écoutait sans dire un mot, tout en faisant rouler le verre vide contre ses avant-bras, lui donnant une légère sensation de frais bienvenue. Luka semblait vivre de l’exploration en grande partie, comme Alasie, mais la manière dont elle utilisait son argent était plus réfléchie. Là où Alasie le balançait pour les premières personnes qui semblaient en avoir besoin, Luka l’utilisait de manière précise, économisant ce qu’elle pouvait afin de subvenir au besoin de l’orphelinat. Elle semblait être une bonne personne. Alasie ne la lâchait pas du regard pendant toute son explication.
Puis Luka en vint à parler des cauchemars des enfants, et perdit cette étincelle dans son regard. Pendant quelques instants, Alasie baissa les yeux, réfléchissant à ce qu’elle devait dire. Elle savait que beaucoup de personnes cauchemardaient régulièrement. Les gens sur Lux ont tous un certain degré de traumatisme, et les voyages dans leurs rêves n’étaient pas toujours de joyeuses balades. Mais les cauchemars, c’était quelque chose de particulièrement dangereux. Elle avait déjà failli mourir plusieurs fois en essayant d’aider des victimes. Pourtant, à l’idée que ces enfants n’avaient personne dans ces moments-là, elle finit par donner sa réponse avant même d’avoir fini de réfléchir, à voix basse elle aussi.
“Je peux peut-être aider avec ça. Parfois. C’est un pari risqué.”
Alasie respira un grand coup. Maintenant qu’elle avait dit cela, elle ne pouvait plus exactement faire marche arrière. Elle jeta un coup d’œil furtif aux enfants qui jouaient avant de regarder Luka à nouveau, et de continuer son discours. Elle avait arrêté de faire rouler son verre, qui était posé à ses pieds.
“Ma lueur me permet de rentrer physiquement dans les rêves des gens. Bons comme mauvais. Je peux plus ou moins choisir, instinctivement, dans lequel je vais, et je peux interagir dedans. Mais en échange, si je me blesse dans le cauchemar, je garderai les blessures à mon réveil. C’est le plus gros défaut de ma lueur. Il y en a d’autres, mais je ne vais pas trop m’étaler. En gros, je suis prête à essayer. Quand je serai en ville, j’essaierai de visiter les rêves des enfants de l’orphelinat. Ce ne sera pas souvent, et je ne pourrai pas forcément faire grand-chose, mais si j’y arrive, ça pourrait peut-être les aider. J’en sais rien en fait. Je reste rarement pour voir comment vont les gens à leur réveil.”
Soupir. Elle avait beau utiliser son pouvoir assez régulièrement, elle le faisait bien souvent par plaisir personnel, de manière purement égoïste. Quand les gens semblaient en danger, elle essayait d’aider à sa façon, sans jamais trop prendre de risque. Elle se disait qu’ils y survivraient. Elle ne pensait pas souvent aux conséquences sur le mental des gens à leur réveil. Devait-elle prendre plus de risques ? Tout était si compliqué. S’impliquer dans la vie en société était si compliqué. Pour peu, Alasie avait déjà envie de retourner se cacher tout en haut de ses montagnes. Au moins, il faisait froid là-bas.
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Je peux peut-être aider avec ça. Parfois. C’est un pari risqué. Alasie avait soudainement toute l’attention de Luka qui ne prenait même plus la peine de tenir son gobelet correctement. Fort heureusement, puisqu’elle l’avait fini, elle n’aurait même pas retrouvé un tapis pour remplacer celui qu’elle aurait pu potentiellement salir. Ou pire, à laver ses dégâts. Alasie poussa un long soupir et glissa son regard vers les enfants qui s’amusaient au long. Luka fit de même, plus par mimétisme que par grand intérêt. Il n’y avait qu’Alasie qui avait l’attention de Luka, actuellement.
Le regard de nouveau braqué sur Luka, Alasie cracha enfin le morceau. Elle expliqua que sa lueur lui permettait de rentrer physiquement dans les rêves des gens, qu’ils sont bons ou mauvais, mais que son corps physique se blessait de la même façon que sa projection astrale. C’était un danger à prendre en compte. Luka essayait de prendre toutes les informations en compte. Pourrait-elle risquer la vie de quelqu’un juste pour des mauvais rêves ? Sûrement pas. Néanmoins, Alasie se proposa pour aller, de en temps en temps, visiter les rêves des enfants quand elle serait en ville.
Luka fit rouler le verre vide dans ses mains, les yeux plissés, perdue dans ses pensées. Cette lueur était intéressante mais terriblement dangereuse. À quoi bon pouvoir visiter les rêves des gens si on pouvait se faire assassiner par n’importe quoi ? Il n’y avait pas pire royaume qu’un rêve et encore plus celui d’un enfant. Luka quitta des yeux Alasie et se vautra un peu plus dans son pouf, caressant distraitement son menton. Les enfants au loin continuaient de crier et de jouer, mais ils n’étaient plus que des taches floues pour les sens de Luka, complètement renfermée sur elle-même.
Finalement, après de longues minutes de silence, Luka se releva brusquement en claquant des doigts. Le verre tomba par terre et roula lentement sous un meuble. Le sourire aux lèvres, Luka se tourna vers Alasie.
« Déjà, sache qu’à partir du moment où tu mets ta vie en danger, tu n’es pas obligée de le faire. »
Luka fit une courte pause pour scruter le regard d’Alasie qui semblait avoir déjà pris sa décision. Alors Luka continua, en essayant d’expliquer le plus clairement sa pensée.
« Dors à l’orphelinat si tu veux faire ça. Je pourrais surveiller ton corps et celui de l’enfant. Si je vois qu’il s’agite trop, je le réveille et m’occupe moi-même de calmer ses cauchemars. Ta vie ne sera pas en danger. Ou moins, en tout cas. »
Luka retomba dans le pouf, soudainement épuisée par tout ce remue-méninge. Le tournant pris par cette journée était de plus en plus surprenant.
« Un simple travail de repérage pour savoir ce qui effraie l’enfant peut suffire aussi. Ils sont rarement au courant des peurs qu’ils ont refoulé en se faisant arracher à leur vie d’avant. »
La dernière partie de sa phrase trahissant l’amertume de Luka. Elle s’était peut-être habituée à sa vie sur Lux, mais elle en voulait toujours aux étoiles de l’avoir arraché à sa vie sur Terre.
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Luka était une personne donnant l’impression de beaucoup réfléchir, contrairement à Alasie qui avait tendance à vivre le moment présent, sans trop penser à la suite. Elle avait écouté ses explications, et en avait tiré ses propres conclusions, et son propre plan pour minimiser les risques. De nombreuses parties de ce plan était incertaines : Alasie ne savait pas si son corps restait dans le monde physique lorsqu’elle voyageait dans un rêve, elle ne savait pas non plus comment fonctionnait la temporalité, ni s’il était possible de réveiller l’enfant à temps.
Pourtant, Alasie était prête à tenter le coup. Elle essayait de se dire que, dans le pire des cas, elle avait déjà vécu bien plus qu’une personne normale, et que ce n’était pas très grave si elle venait à perdre la vie. Après tout, elle n’était pas exceptionnelle, ni irremplaçable. Tout juste un maillon d’une société bien plus grande et complexe qu’elle. Il y avait des explorateurs plus doués, et des mondains plus utiles. Alors pourquoi voulait-elle encore tellement vivre ? Parce qu’elle voulait être là pour découvrir de nouveaux territoires ? Quel égoïsme. Toujours à moitié plongée dans ses pensées, elle répondit tout de même à Luka.
“Ça a l’air d’un bon plan. Ce serait dommage que je meure à la première intervention, j’aurais pas servi à grand-chose.”
Alasie essayait de se convaincre que vouloir vivre était une réaction normale et logique, et pas juste un désir égoïste. Que mourir alors qu’elle s’apprêtait finalement à faire une bonne action serait une mauvaise chose. Bon sang, la vie en société avait tendance à la faire bien trop réfléchir. Elle n’avait pas de crise existentielle, dans ses montagnes.
Finalement, elle décida qu’elle garderait ses problèmes pour plus tard. Elle y réfléchirait lorsqu’elle serait seul, ça ne servait à rien de mêler Luka à tout cela. Alasie se leva doucement, toujours tournée vers Luka.
“Je reviendrai ce soir pour faire un premier essai, si ça te va, et si c’est concluant, j’essaierai de venir deux à trois fois par semaine, tant que je serais en ville.”
Cela voulait dire que deux à trois fois par semaine, elle passerait ses nuits éveillée, et ses matinées à dormir. Ses journées allaient être bien plus mouvementées, en ajoutant tout cela à son planning.
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Un court silence s’installa entre les deux jeux filles durant lequel Luka s’amusait à faire rouler son verre vide sur ses avants bras, sur ses cuisses, entre ses mains. Elle perdit son regard dans le vague, puis dehors où les enfants jouaient, et enfin de nouveau sur Alasie. Les secondes s’étiraient longuement et Luka se demandait si elle avait vraiment bien fait de proposer ça à la mondaine.
Ça a l’air d’un bon plan. Ce serait dommage que je meure à la première intervention, j’aurais pas servi à grand-chose. Luka plissa les yeux à cette remarque, un frisson étrange lui remontant l’échine. Si c’était pour mettre sa vie en danger à ce point, est-ce que ça valait vraiment le coup ? Luka n’était plus si sûre. Alasie semblait vraiment trouver l’opération dangereuse ? Ou le faisait-elle pour se donner consistance ? Luka était assez confuse par les réactions de la mondaine.
Avant que Luka ne puisse mettre de l’ordre dans ses idées, Alasie se leva. Je reviendrai ce soir pour faire un premier essai, si ça te va, et si c’est concluant, j’essaierai de venir deux à trois fois par semaine, tant que je serais en ville. Luka se leva à son tour, hochant la tête. Elle récupéra le verre d’Alasia qu’elle posa distraitement sur le rebord d’une commode, ne lâchant pas des yeux Alasie.
« Si ça met ta vie en danger, t’es pas obligée hein… »
Alasia balaya les propos de Luka d’un revers de main. Puis des enfants surgirent de partout pour encercler Luka, parlant tous en même temps. Il était question d’un jeu, d’un dragon et… de quoi ? Luka ne comprenait rien à ce qu’il se passait. Le sourire aux lèvres, elle se laissa entraîner par les enfants dehors et fit un signe de main à Alasie.
« Je me fais kidnapper mais on se revoit plus tard ! »
Si Alasie lui répondit, Luka n’entendit rien. Elle se fit traîner dehors et se fit enfermer dans un tour. Après réflexion, elle ne devait pas jouer la princesse mais le dragon, ce qui la fit s’esclaffer de rire encore plus fort. Parfait !
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Alasie balaya la remarque de Luka d’un mouvement de main, tout en la regardant se faire tirer au loin par un groupe d’enfants. Un souvenir émouvant des enfants qu’elle avait élevé, il y a longtemps, vint lui enserrer la gorge. Est-ce qu’ils lui manquaient ? Certainement. Ils devaient être grands, maintenant. Étaient-ils seulement en vie ? Combien de temps cela faisait-il maintenant ? Prise dans le flot de ses pensées, Alasie ne vit pas Luka disparaître au loin, et se contenta de continuer à marcher en direction de la sortie. Elle aperçut Selim, dans un coin de sa vision, qui hochait la tête de manière respectueuse en sa direction, comme pour dire bonjour à une vague connaissance. Alasie le lui rendit, pas bien certaine que le geste lui était adressé. Ils ne se voyaient que très rarement, après tout.
Alasie continua son chemin en direction de la taverne. Elle avait besoin de s’aérer l’esprit après cette rencontre, et rien de mieux pour cela que de boire quelques pintes en compagnie d’autres fougueux qui pourraient lui raconter ses aventures. Et peut-être qu’elle en partagerait quelques-unes aussi, s’ils arrivaient à lui redonner suffisamment le moral et à lui faire oublier le souvenir des enfants qui était encore revenu d’un seul coup.
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