L’envolée sauvage de Wen, un moment qu’elle adore, dont elle se délecte. Prendre son sac à dos, récupérer quelques affaires dans ce qui lui sert de pied-à-terre et prendre le chemin des terres mystérieuses, un de ses plus précieux plaisirs. Wen se contente de peu, une gourde, un peu de nourriture pour la route, un sac de couchage et un bon manteau, en gros c’est ce qui la fait tenir lorsqu’elle décide de prendre le large. Et un carnet de note, comme toujours.
Cette fois, elle part avec un but. Elle en a déjà vu, des ours, mais jamais elle n’a vraiment tenté de s’en approcher, encore moins a-t-elle voulu en apprivoiser un. Elle ne se considère pas elle-même comme ours, mais elle sait qu’elle leur ressemble sur un point : la liberté. Son état sauvage lui fait se demander s’il était avisé d’accepter cette mission. Mais le « Savant » n’a pas l’air fou, il veut l’ours vivant, donc, logiquement, il ne devrait pas lui vouloir de mal. Les hommes de savoir que Wen a rencontrés jusqu’ici ont toujours été respectueux, et elle compte bien s’en assurer.
Toujours par plaisir, la fougueuse se décide à prendre la route à pied, le voyage lui permettra de préparer une approche adéquate. Les quelques jours qui séparent Wen de son but, le pied de la montagne, provoquent chez elle une certaine euphorie. Un but à atteindre, un nouvel être à découvrir, à comprendre.

C’est à l’orée des bois, au pied de cette fabuleuse muraille montagneuse que prend fin le périple si tranquille de la demoiselle. Elle prend le temps, quelques minutes, de se concentrer, assise au pied d’un arbre elle sort son carnet et dessine rapidement le paysage qui s’offre à elle. Tout est si beau. Elle note quelques mots, dont celui-ci : ours. Le terrier en question n’est plus qu’à un ou deux kilomètres, d’après le savant. Wen inspire un grand coup, s’étire et se relève. Il ne lui reste qu’à parcourir cette si petite distance qui la sépare d’une nouvelle découverte, peut-être importante, et de toute manière étonnante.
Elle se tient debout, droite, trop droite sûrement, face à la tanière. Son sac à dos lui tombe un peu de l’épaule. Elle s’accroupi, son souffle se fait plus court mais elle doit se concentrer. Elle reconnait quelques bruits, l’animal semble bien présent à l’intérieur.
Elle grogne un peu, doucement, elle fait savoir sa présence. Elle attend un peu, puis recommence, ni trop brusquement, ni trop fort, elle ne lui veut pas de mal, elle veut le voir et l’approcher. Le déranger, en soit, était peut-être déjà une mauvaise idée. Un tout petit peu plus fort. Un écho lui répond, suivit d’un grognement bien plus animal que le sien. Il arrive. Elle l’aperçoit, il est désormais à la porte de son domaine. Pendant quelques secondes, elle reste immobile. Elle est à la fois impressionnée et émerveillée. L’animal est magnifique, si grand, si brun, si beau. Elle pose une main à terre, puis se concentre une dernière fois, elle tient le regard de la bête.
Petit à petit sa tête se transforme, la métamorphose prend très rapidement place et le visage de Wen disparait sous une plus grosse et impressionnante tête d’ours. Elle se présente à lui, soumise et pacifique.

Oh non de non de. Wen pose ses genoux à terre. L'immobilité de l'ours la rassure, mais ses grognements cachent autre chose, couvrent un autre bruit. Ca ressemble plus à des couinements...

Une femelle. C'est une femelle, une mère. Le verdict de Wen ne fait qu'un bond dans sa tête. On n'enlève pas une mère à ses enfants, elle ne le sait que trop bien, ce serait un péril terrible pour tous, et par conséquent une entorse à ses idéaux. Mais l'ours est magnifique, elle ne peut pas être venue pour rien. Il lui faut penser, et vite. Chaque geste compte. Au détail près. Elle reprend son souffle et laisse tout doucement tomber son sac à dos au sol. Plus doucement encore sa main glisse vers celui-ci. Il est désormais hors de question qu'elle enlève cette ourse à ses petits. Déjà se posait-elle des questions en chemin, mais la présence d'oursons est décisive.

Sa main se déplace habilement dans son sac, elle parvient, sans quitter le regard de l'ours, à attraper un crayon et son carnet du bout des doigts, et les fait sortir délicatement, jusqu'à les poser au sol devant elle. Elle sent la tension de l'animal, sa méfiance, et essaie, de son côté, de calmer sa peur. Elle doit se faire accepter par l'animal, au moins quelques instants. Sans quitter l'ourse des yeux, elle ouvre son carnet et prend son crayon.

La réaction de l'animal sera décisive. Si elle attaque, Wen est certainement fichue, si elle fait demi-tour, peut-être Wen aura-t-elle une chance de pouvoir s'abreuver de quelques connaissances.

Quelques rares fois dans une vie, d'extraordinaires moments ont lieu. Dans la si longue vie d'une personne comme Wen, il y en a peut être eu un peu plus que ça. Le premier mot qu'elle pose sur le papier tandis qu'elle observe la mère est "extraordinaire". Simplement. Elle laisse les minutes s'écouler tandis que son visage reprend forme humaine, inutile de trop se fatiguer, c'est la présence de son corps tout entier qui compte désormais. D'abord, elle dessine l'ourse, une fois, deux fois, trois fois, elle recouvre des pages de détails puis note chaque élément qui lui semble être important, chaque détail caractéristique de l'animal. Le temps est long, mais Wen ne désire qu'une chose, c'est qu'il s'arrête pour qu'elle puisse rester en compagnie de l'animal, toujours.

Soudain, les petits bruits qui provenaient de la grotte se rapprochent. Dangereusement. Et ce n'est pas un, mais deux petits oursons que Wen voit sortir de leur tanière. Tendres petits animaux. Elle sent l'émotion monter en elle, ce moment est si précieux. Elle s'empresse de continuer à noter tout ce qu'elle voit, croquette les petits, détaille leur comportement et griffonne tout ce qu'elle peut. Et là, sur son carnet, une tâche d'eau. Une petite tâche qui vient abîmer un dessin d'ourson. Une goutte d'eau qui aura coulé de sa joue. La seule depuis longtemps.

Wen passa sa journée devant la tanière, à observer la si belle famille. Elle en oublia de manger ou de faire quoi que ce soit qui pouvait résulter de ses besoins humains, si bien que quand vint le soir et que la lune montra le bout de son nez, elle se sentit faible. L'ourse et ses petits rentrèrent, Wen dut en faire autant. Elle récupéra ce précieux carnets, remplis désormais d'informations sur la grande Ourse et sa tendre famille. Le carnet était plein à craquer, tout comme Wen lorsqu'elle reprit son chemin vers la ville.

Sur le chemin, Wen imagina mille et une façons d'expliquer le pourquoi du comment de la mission au savant, à qui elle ne ferait pas de cadeau de toute manière. S'il n'est pas content, elle gardera pour elle ses précieuses notes. Ces ours sont une partie d'elle, et en une journée elle aura découvert beaucoup plus de choses sur cette lueur qu'elle porte depuis 200 ans qu'en toute une vie à Lux.