J’ai pas vraiment cherché une lueur pour m’aider. À sa place, Alasie n’aurait pas attendu une seule seconde avant de chercher un moyen de soulager sa douleur. Elle aurait certainement vécu cette situation comme incapacitante, la gênant dans ses explorations. Pourtant, elle parvenait à comprendre Alban, d’une certaine manière. Il y a peu de gens qu’Alasie connaissait aussi bien que lui, même si ils n’avaient pas souvent de très longues discussion personnelles. Pourtant, elle savait tout ce qu’il y avait à savoir sur Alban : c’est un homme bon, brave, un peu têtu par moment et légèrement sentimental lorsque le cœur le lui en disait. C’est en tous cas comme ça que le percevait Alasie. Ainsi, elle savait qu’il n’y avait plus grand-chose à dire sur cette jambe boiteuse. Si Alban avait choisi de la garder, il devait bien avoir ses raisons.

Sous les directives du garçon, elle baissa la tête pour s’enfoncer un peu plus profondément dans la caverne. Voilà qui n’aidait en rien sa claustrophobie latente, mais elle n’allait pas s’en plaindre après avoir fait la brave quelques minutes plus tôt. Dans le sol malléable de la caverne, Alasie repérait plusieurs traces de pas qui correspondaient toutes à celles d’Alban. Il devait avoir fait plusieurs allers-retours déjà. Depuis combien de temps explorait-il cette grotte en particulier ? J’ai beaucoup crapahuté ces derniers jours, c’est pour ça que ma jambe tire. Ça, Alasie pouvait le voir. Elle eut un sourire tendre à la pensée de son ami ignorant la douleur pour continuer ses explorations. Les fougueux avaient tous un gros problème de modération, et les deux amis en étaient la preuve.

« Ce n’est pas vraiment comparable, mais ça me rappelle la fois où j’ai été chassée par une meute de loups pendant deux semaines. Le dernier jour, ils me sont tombés dessus alors que je pensais les avoir semés et ont failli m’arracher un bras. J’étais à deux jours de marche de la ville, mais tu penses bien que j’ai préféré continuer mon chemin vers les montagnes avec un bras en sang et laisser le temps le guérir plutôt que de rentrer pour aller à l’hôpital. Au final, au bout de quelques jours, ça s’est infecté et j’avais plus le choix mais bon. Je pense qu’on est un peu trop têtus, dans ce cercle. »

Tandis que son visage et sa voix exprimaient une sorte de joie en racontant son anecdote, son cerveau avait vagabondé ailleurs pendant quelques secondes. Comment se rappelait-elle d’un évènement aussi aléatoire, mais pas du visage d’Allison ? C’était déjà un miracle qu’elle ait pensé à ce nom ; la mémoire d’Alasie est en aussi bon état que la jambe de son ami, visiblement. Est-ce que tous les habitants de Lux avaient un problème quelque part, ou bien était-ce juste dû à leur condition d’idiots téméraires ?

Alasie fut ramenée à la réalité par l’odeur de la pierre humide. Déjà présente depuis son entrée dans la grotte, elle se faisait de plus en plus tenace à mesure qu’ils avançaient. Il ne faisait aucun doute qu’ils approchaient des bassins que souhaitait lui montrer Alban. Il n’en fallait pas plus pour que le cerveau d’Alasie passe à autre chose et qu’elle ne trépigne d’impatience à l’idée de voir ça. De tout son séjour à Lux, elle n’avait pas souvenir d’avoir visité des bassins souterrains une seule fois. Sa mémoire n’était certes pas toujours fiable, mais elle était presque sûre qu’elle se souviendrait d’une chose dont la description était aussi magique.

Il suffit d’un seul tournant pour qu’Alasie ne se retrouve plongée dans une atmosphère complètement nouvelle. La lumière de sa torche ne suffisait plus pour la taille de la pièce dans laquelle ils étaient tombés et se contentait d’éclairer le bord de l’eau, les murs derrière eux et le visage fier d’Alban qui avait bien réussi son coup.

Le plafond était haut et pourtant assez bas pour que la lumière du feu reflète par endroit sur les stalactites. Voir ces petites étincelles dans la noirceur de la grotte donnait à Alasie l’impression d’être sous un ciel étoilé étrange, inconnu, irréel. Et à ses pieds, l’eau scintillait. Une partie, celle à la lumière, reflétait les torches et les deux fougueux. L’eau était si calme qu’elle agissait presque comme un miroir, ajoutant une impression surréelle à tout cette scène. Elle avait déjà vu des lacs de nuit. Aucun ne lui renvoyait une telle sensation.

Alasie regarda le sourire d’Alban, regarda ses propres vêtements, à peine secs mais toujours humides, puis haussa les épaules avec un sourire provocateur avant d’enlever ses bottes fourrées, de déposer sa torche et son sac au sol et de percer la quiétude de l’eau en face d’elle. La chair de poule envahit son corps tandis que l’eau froide lui saisissait la jambe. Si elle n’était pas aussi habituée au froid constant, et même à sa recherche, elle aurait sorti son pied d’un seul coup. À la place, elle continua d’avancer jusqu’à ce que l’eau lui arrive à mi-mollet. La pierre lui laissait de fines entailles sur la plante des pieds mais elle ne s’en rendait pas compte tant ils étaient engourdis.

« Presque déçue que tu ne m’aies pas amenée à une source chaude naturelle. Mais je suppose que la vue en vaut la peine. »

Comme si son côté enfantin reprenait le dessus, Alasie tapota la surface de l’eau pour y provoquer quelques ondulations, s’émerveillant de les voir aller s’écraser contre la rive. Elle aurait bien eu envie d’en envoyer en direction d’Alban, mais les torches étaient aussi à côté et elle ne voulait pas les mouiller par inadvertance. À la place, elle se contenta de le fixer avec un air de défi.

« Alors quoi, t’as peur d’un peu d’eau ? »